octobre 03

Les agriculteurs sont les entrepreneurs qui préparent l’Afrique de demain

Pour Joseph Owona Kono, le rôle des petits exploitations agricoles dans la résolution des défis auxquels le continent fait face est largement sous-estimé.

De tous les défis auxquels l’Afrique fait face, l’agriculture est à la fois le plus complexe et le plus urgent. Le dernier rapport de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) insiste très justement sur le rôle essentiel et sous-estimé des petits agriculteurs en Afrique pour mener à bien la transformation économique de l’Afrique. Non seulement parce qu’ils représentent un poids démographique écrasant (60 % des emplois), mais aussi parce que l’agriculture pèse environ 25 % du PIB africain. 75 % de la nourriture produite sur le continent provient de petites exploitations agricoles de moins de 20 hectares. Ces agriculteurs sont donc des éléments structurants de l’économie africaine.

Les gouvernements africains commencent à peine à intégrer le potentiel de ces petits exploitants dans des politiques agricoles ambitieuses. Si les effets d’annonces sont nombreux, les initiatives et actions concrètes peinent encore à émerger.

Les défis pour libérer le potentiel du secteur agricole sont pourtant nombreux : réforme du cadastre et du droit foncier, facilitation de l’accès au crédit pour les petits exploitants, développement d’infrastructures modernes en zones rurales, hausse des investissements publics et privés…

La vie d’un agriculteur ressemble en tout point à celle d’un entrepreneur

Mais, surtout, c’est un changement radical de la perception des agriculteurs qui doit être opéré. En effet, les petits exploitants agricoles africains souffrent de voir leur  métier perçu comme archaïque et voué à la sous-productivité.

La vie d’un agriculteur ressemble pourtant en tout point à celle d’un entrepreneur : gestion et anticipation des flux, recherche de financements, diversification et préservation de leurs actifs… Ces « agro-entrepreneurs » connaissent toutes les contraintes et les défis des chefs d’entreprises. Ils sont aussi et surtout les vecteurs d’une croissance inclusive en Afrique.

Ce sont les semences et non les diamants qui enrichiront l’Afrique et les Africains

Comme le souligne le Dr. Kanayo Nwanze, ancien président du Fonds international pour le développement agricole (Fida), ce sont les semences et non les diamants qui enrichiront l’Afrique et les Africains. Les données empiriques suggèrent que la croissance du PIB provenant de l’agriculture est au moins deux fois plus efficace pour réduire la pauvreté que la croissance du PIB liée aux secteurs non-agricoles. Le développement agricole constitue ainsi la solution numéro un pour créer des débouchés économiques pour la jeunesse africaine.

C’est d’autant plus vrai que, selon la Banque mondiale, les marchés de l’agriculture et de l’agroalimentaire en Afrique pourraient représenter 1 000 milliards de dollars (850 millions d’euros) en 2030. Et le continent possède de nombreux atouts pour répondre lui-même à cette demande. Parmi les terres arables disponibles dans le monde, 65 % se situent sur le continent. Pourtant, aujourd’hui, l’Afrique importe l’équivalent de 50 milliards de dollars de nourriture chaque année.

Pression démographique croissante

Dans le même temps, la pression démographique se fait de plus en plus forte : en Afrique de l’Ouest et centrale, les jeunes de moins de 25 ans représentent 65 % de la population. Ils sont aussi les premières victimes de la croissance à deux vitesses qui caractérise nombre d’économies africaines – et sont au chômage pour 60 % d’entre eux. Dans le même temps, si l’on prend le cas de la Côte d’Ivoire ou du Cameroun, la majorité des paysans a plus de 60 ans.

Orienter la jeunesse africaine vers le secteur agricole est une absolue nécessité si nous voulons éviter que ces savoir-faire ne se perdent. C’est aussi le meilleur moyen de désamorcer la bombe à retardement démographique – et de combattre à la racine l’exode rural, première étape des mouvements migratoires massifs, et parfois tragiques, dont nous avons été témoins ces dernières années.

Miser sur les petits exploitants agricoles ne signifie pas qu’il faut pour autant fermer la porte aux grandes entreprises de l’agro-alimentaire

Miser sur les petits exploitants agricoles ne signifie pas pour autant qu’il faille fermer la porte aux grandes entreprises de l’agro-alimentaire. Plutôt que d’opposer petites, moyennes et grandes exploitations, nous devons profiter de leur complémentarité. C’est pourquoi la Banque africaine de développement (BAD) parie notamment sur les pôles de croissance agricole dans le cadre de son plan « Nourrir l’Afrique ». Il convient toutefois d’éviter les écueils d’une logique top-downqui ignorerait les habitudes alimentaires locales et l’expertise agronomique des paysans.

L’équilibre est difficile à trouver, mais la mise en place des bonnes conditions pour une croissance durable et inclusive est à ce prix. L’agroalimentaire doit impérativement devenir ce secteur en plein essor qui réunira des entrepreneurs, des inventeurs et des financiers autour de projets innovants et rentables pour l’Afrique et les Africains. Car seule la renaissance de l’agriculture africaine permettra le décollage économique de l’Afrique.

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