juillet 17

La start-up de la semaine : Barac, ou comment dompter le big data

Analyser en temps réel les méga-données pour mieux protéger les systèmes informatiques. Le Graal 2.0, recherché par toutes les sociétés opérant dans le web, existe grâce au savoir-faire de la start-up tunisienne Barac.

Neutraliser les virus type WannaCry, détecter des fraudes au milieu de milliers d’opérations et traiter des informations parmi les multiples systèmes d’échanges, le tout en temps réel. Bref, analyser en quelques secondes des méga-données (big data), données informatiques trop volumineuses pour être gérées avec des outils traditionnels. Voilà le pitch de Barac (« éclair » en arabe). De quoi faire saliver les sociétés internationales dont l’activité se déroule dans le monde virtuel.

La jeune start-up tunisienne, créée en juin 2016, a déjà réussi son passage de simple idée dans la tête d’Omar Yaacoubi à celui du test grandeur nature, le tout en moins d’un an.

Le Tunisien de 31 ans a planché sur un programme d’analyse en temps réel de méga-données il y a deux ans alors qu’il dirigeait la société Trick Consulting

Le titulaire d’un Master de l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis (ISG, 2008) et d’un Certificat professionnel en innovation et entrepreneuriat à l’université américaine de Stanford (2015) a eu soin de laisser mûrir son projet et a profité de son expérience pour développer la société dans les meilleures conditions.

Le Tunisien de 31 ans a planché sur un programme d’analyse en temps réel de méga-données il y a deux ans alors qu’il dirigeait la société Trick Consulting, spécialisée dans le conseil et le développement du big data, qu’il a co-fondée en 2013.

« J’avais pour client des opérateurs téléphoniques. Ils voulaient réduire le temps de détection et de réparation des problèmes techniques pour éviter les plaintes des clients qui nuisaient à l’image de la marque », se remémore Omar Yaacoubi.

Apprentissage en temps réel

Trick Consulting est basée en Californie, ses clients sont aux États-Unis et en Europe, mais le cœur de l’activité, le développement informatique, est à Tunis où des ingénieurs informatiques conçoivent les outils de gestion.

C’est donc en collaboration avec les développeurs tunisiens de Trick Consulting – aujourd’hui disparu – qu’Omar Yaacoubi élabore le programme, tout en continuant ses activités de consulting.

Les solutions proposées par l’équipe tunisienne reposent sur des avancées technologiques récentes que peu de start-up arrivent encore à combiner.

Apprentissage automatique

Il s’agit d’analyser le flux de méga-données en temps réel, à l’aide d’algorithmes d’apprentissage automatique (intelligence artificielle) et d’analyse comportementale des actions. C’est-à-dire que plus le programme reçoit d’informations, mieux il est capable de les analyser et plus il est performant.

Pour bénéficier de ces avantages, le client n’a pas besoin de rassembler lui-même ses méga-données dans une base de données. Une fois le programme installé, il est capable de collecter et traiter les informations lui-même, où que soient situés les serveurs de stockage.

« Concept visionnaire »

« C’est un nouveau monde qui commence, c’est un concept visionnaire », assure Mahdi Ben Hamden, cofondateur de Barac.

Le Tunisien de 43 ans, directeur des filiales Afrique francophone de Alios Finance, holding financière spécialisée dans le crédit-bail, est parfaitement placé pour mesurer le potentiel d’une telle solution. Il a décidé de se lancer au côté de Omar Yaacoubi, après leur première rencontre, début 2016.

En janvier 2017, six mois à peine après sa création, Barac rejoint la cohorte de start-up sélectionnées par Techstars, incubateur de jeunes pousses, géré par la banque britannique Barclays qui investit 120 000 dollars et entre à hauteur de 6% dans le capital, le reste étant également réparti entre les deux cofondateurs.

WannaCry décelée en moins d’une seconde ?

Durant le programme de 13 semaines, la start-up, grâce à sa vingtaine d’ingénieurs tunisiens, impressionne en multipliant les POC (Proof of concept), des démonstrations de faisabilité dans lesquelles les solutions estampillées Barac parviennent à démontrer l’existence de failles des logiciels testés et les répare.

Omar Yaacoubi l’affirme : « Avec les solutions que propose Barac, la récente cybertattaque WannaCry aurait été décelée en moins d’une seconde. » Et grâce à l’apprentissage automatique, le programme aurait pu neutraliser le virus, en intégrant les correctifs mis à disposition peu après l’attaque.

En mai, la banque britannique Barclays signe un contrat avec Barac pour l’aider à prédire quand des activités frauduleuses et des pannes se produiront pour Barclays UK et Barclays International.

Nous avons le devoir d’impressionner

Barac fait également partie des 100 start-up arabes sélectionnées par le Forum économique mondial pour sa capacité à « définir le futur dans le contexte de la quatrième révolution industrielle ».

Un début prometteur, mais les fondateurs savent qu’ils doivent voir plus grand pour survivre. « C’est un marché mondial, avance Mahdi Ben Hamden. Il faut négocier de gros contrats d’ici la fin de l’année pour s’émanciper de Techstars. Nous avons le devoir d’impressionner. »

Les fondateurs travaillent à une levée de fonds de plusieurs millions d’euros d’ici la fin de l’année et tablent sur un chiffre d’affaires de 3 millions de livres (3,4 millions d’euros) en 2017 en visant les sociétés financières et les opérateurs de télécommunication.

Trop tunisien pour être fiable ?

Pour atteindre ces objectifs, la force de Barac – ses ingénieurs tunisiens – peut se révéler une faiblesse. Un groupe bancaire brassant des milliards d’euros de chiffre d’affaires est-il prêt à confier sa sécurité et des données extrêmement sensibles à des ingénieurs en Tunisie, si excellents fussent-ils ? Ne vaut-il pas mieux se tourner vers les concurrents, principalement installés dans la Silicon Valley, plus rassurante ?

Omar Yaacoubi et Mahdi Ben Hamden sont conscients de ces réticences, plus ou moins avouées. Pour rassurer les clients, le siège social de Barac a été enregistré à Londres où une équipe commerciale est en train d’être montée, avant de s’étendre prochainement à Paris.

Fierté nationale et stratégie économique

Mais pas question que « le vrai actif de Barac, nos ingénieurs », comme aiment à le répéter les deux cofondateurs, quittent le quartier de Montplaisir de Tunis. Par fierté nationale – « il faut montrer au monde que la formation en informatique est excellente que ce soit à PolytechniqueEsprit ou l’Insat », insiste Omar Yaacoubi – mais aussi par stratégie économique : le faible coût d’un ingénieur tunisien comparé à celui d’un occidental permet une meilleure maîtrise des dépenses pour la start-up.

« D’ailleurs, les sociétés américaines travaillent avec des ingénieurs basés en Inde, et ça ne dérange personne », souligne Omar Yaacoubi.

Pour se développer au mieux et éviter les frictions inhérentes au développement d’une start-up, les deux dirigeants se sont partagé les tâches et le monde : Omar Yaacoubi s’occupe du commercial et passe son temps en Europe et aux États-Unis pendant que Mahdi Ben Hamden reste en Tunisie pour gérer l’équipe et les innovations techniques à venir, tout en gardant un œil sur l’Afrique, qu’il connaît parfaitement de par ses fonctions à Alios Finance. Un marché loin d’être un pis-aller pour lui : « L’Afrique, c’est le futur. La croissance de demain, elle est là. »

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