mai 18

Qui est Aimé Léma, le premier entraîneur de football noir de Roumanie ?

Cet entraîneur congolais, réfugié politique en Roumanie, défend un football propre et tolérant.

A une heure d’un derby important, Aimé Léma prend le temps de dérouler son histoire à la buvette du stade. Survêtement bleu-jaune-rouge, casquette vissée sur la tête, téléphone à portée de main, il s’interrompt pour répondre. Sa sonnerie du moment est le refrain de Dragostea din tei, la chanson qui a fait connaître le groupe moldave O-Zone. Ses joueurs arrivent au compte-gouttes.

Parmi eux, des Roumains, dont certains issus de la minorité rom, un Congolais, un Camerounais et un gardien amputé d’un bras. Voilà l’équipe hétéroclite de Romprim, 4e division du championnat roumain, qu’il entraîne depuis l’hiver dernier.

Diversité, égalité des chances et tolérance sont les maîtres mots d’Aimé Léma. Pour lui qui est le premier et quasiment le seul entraîneur de foot noir (avec l’ex international sénégalais Ousmane N’Doye, qui coache l’équipe de Cetate Deva, en division 3), dans un pays peu habitué à l’immigration africaine, la non-discrimination prend tout son sens.

Son père choisit un pays sans distraction

Né à Kinshasa en 1969, venu à l’origine pour quatre années d’études, il n’aurait jamais pensé être toujours là vingt-six ans plus tard, à donner des consignes d’avant-match au bord d’un stade à Bucarest. « Dans ma famille, celui qui réussissait le bac pouvait partir à l’étranger. » Aimé Léma l’obtient en 1990. Trois destinations s’offrent à lui pour qu’il puisse étudier la chimie : l’Irak, la Belgique et la Roumanie.

« Papa a jugé que la Roumanie était le pays qui offrait le moins de distractions. Et il avait raison. » Pendant que son père, diplomate, part en poste en Égypte, lui s’envole pour la Roumanie. Tout ce qu’il connaissait du pays se résumait à ses cours de lycée et aux noms des grands sportifs : Gheorghe Hagi en foot et Nadia Comaneci en gymnastique. « Ma première vision de Bucarest, sous la neige, en janvier 1991, donnait vraiment envie de repartir en courant. »

Ma première vision de Bucarest, sous la neige, en janvier 1991, donnait vraiment envie de repartir en courant.

Il commence par apprendre le roumain pendant un an, « pour faire les choses comme il le faut ». Aujourd’hui, il trouve qu’il parle mieux roumain que français. Et puis le plan initial change. Lui qui pensait revenir travailler dans le pétrole à Luanda (Angola) est empêché de rentrer par les affrontements ethniques de 1995-1996 dans la région. « Papa nous a conseillé de rester à l’abri. » Son avenir se fera donc en Roumanie.

Il apprend le foot sur le tard

Il rencontre une Roumaine, qu’il épouse, et reçoit l’asile politique en 1999. Le voilà réfugié. En parallèle de ses cours de chimie, Aimé Léma frappe dans le ballon avec des étudiants africains, qui sont plusieurs milliers dans la Roumanie post-Ceausescu. « Les Congolais de Brazzaville étaient les plus nombreux. Nous, on était 2 000 Zaïrois. » Il monte une équipe avec des compatriotes et, après quelques matchs amicaux, intègre un club de 4e division. « J’ai appris sur le tard. Je suis mauvais en dribble, mais très rapide. Je jouais surtout pour le plaisir. »

C’était parfois difficile quand je jouais en province : les gens n’avaient jamais vu de Noir

À l’époque, les joueurs noirs dans le foot roumain se comptent sur les doigts d’une seule main. « C’était parfois difficile quand je jouais en province : les gens n’avaient jamais vu de Noir. » Il est régulièrement invectivé par les joueurs ou le public, qui le traitent de « singe ».

Mais Aimé Léma assure ne pas en avoir été affecté. « Comme j’ai vécu dans plusieurs pays pour suivre mon père, j’étais préparé à ça. Et, à force de voyager, j’ai vu que c’était largement pire ailleurs, en Allemagne par exemple. J’ai relativisé et je me suis adapté. »

Pendant plusieurs années, Aimé Léma enchaîne les contrats avec plus ou moins de bonheur, puis raccroche, fatigué des déplacements à travers le pays. En 2007, il se lance dans deux projets très éloignés du foot. Il construit pendant quatre années un couvent à la campagne, « pour laisser une trace derrière soi, comme disait papa ».

Un milieu miné par les « magouilles »

En parallèle, il crée une entreprise d’import-export de maroquinerie et d’accessoires africains qui lui assure des revenus. Il revient finalement au foot en tant qu’entraîneur bénévole, d’abord à l’A.S. Fratia (Fraternité), puis à Romprim. « Aimé Léma est un homme droit, juste, sévère quand il le faut, compréhensif et pédagogue, témoigne son défenseur Daniel Petrache. Et, si ce n’était pas le cas, je le dirais aussi. »

Mêmes compliments chez son gardien, Tudor Mihailescu, qui, bien que né avec un seul bras, officie avec succès dans les cages. « Aimé sait parler aux gens et réunir l’équipe autour de lui, et ce quel que soit le parcours de chacun. » L’entraîneur donne sa chance à tous mais peste contre la corruption, omniprésente dans le pays et dans le foot. « Les matchs arrangés, j’ai vécu ça en tant que joueur. Un jour, j’ai marqué un but, personne n’était content. On ne devait pas gagner ce match, mais personne ne m’avait prévenu car j’étais étranger. Je ne veux pas de ces magouilles. Le football roumain a été détruit par les petits arrangements, surtout dans le bas niveau. »

Quand il ne s’occupe pas de son commerce et n’entraîne pas son équipe, Aimé Léma dispute un match avec une équipe de seniors, pour le plaisir. Ou emmène ses enfants disputer les leurs, foot pour son fils, hand pour sa fille. Mais constate, impuissant, qu’eux aussi sont déjà confrontés aux « petits arrangements » à leur niveau.

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