L’art africain contemporain décolle

Pour la première fois, à Londres, l’art contemporain africain fait l’objet d’une exposition-vente internationale qui lui est entièrement consacrée. Organisée dans les murs de la prestigieuse Somerset House, la manifestation profite de l’engouement actuel de l’Europe pour le continent et de « l’arrivée à maturation » d’artistes africains.

« Notre problème en Afrique, c’est que nous ne considérons pas notre culture », soupire Romuald Hazoumé quand on lui demande pourquoi l’art africain contemporain doit venir jusque dans la capitale britannique pour se faire connaitre des collectionneurs.

Quinze galeries et plus de soixante-dix artistes sont représentés et l’Afrique de l’Ouest, particulièrement francophone, occupe une place de choix.

La foire 1:54 – un continent, 54 pays – embrasse un demi-siècle de peinture, sculpture et photo africaines, depuis les clichés en noir et blanc des « grands anciens » maliens, Malick Sidibé et Seydou Keita, jusqu’aux fresques-graffitis de l’étoile montante ivoirienne, Aboudia, en passant par les masques-bidons de Romuald Hazoumé (Bénin) et les toiles faussement naïves de Chéri Samba (RDC).

Aux côté des valeurs sûres sont exposés nombre d’artistes moins connus, à qui leurs galeries espèrent donner une visibilité internationale.

La fondatrice de 1:54, Touria El Glaoui, espère qu’en présentant une telle variété d’oeuvres, tant d’artistes établis que de nouveaux venus, la foire servira de « catalyseur » dans un marché en pleine expansion. Car l’objectif assumé est de traduire en espèces sonnantes et trébuchantes la vitalité de la production artistique africaine.

Dans cette optique, le choix de Londres, haut-lieu de la finance et plaque tournante du marché mondial de l’art, paraît d’autant plus logique que s’y tient la Frieze Week, une semaine consacrée à l’art sous toutes ses formes attirant les personalités et les organisations les plus influentes du secteur.

« L’art suit toujours l’argent »

Pour les connaisseurs, cette nouvelle étape n’est pas une surprise, mais l’aboutissement d’un processus entamé il y a plus de vingt ans par les précurseurs que sont les collectionneurs et galeriste, Jean Pigozzi et André Magnin.

« Avant, ceux qui étaient intéressés par l’art contemporain africain, on pouvait les compter sur le bout des doigts », se rappelle Romuald Hazoumé, lauréat de prix prestigieux et exposé, entre autres, au British Museum à Londres, au musée Guggenheim de Bilbao et au Metropolitan Museum of Art à New York. Aujourd’hui ce qui change c’est qu’il commence à y avoir un marché ».

Les prix varient énormément – de quelques centaines d’euros pour des artistes qui démarrent à plus d’un million de dollars pour certaines pièces du sculpteur ghanéen El Anatsui – mais la tendance est là.

D’ailleurs, l’une des plus grandes maisons de vente, Christie’s, figure parmi les sponsors de la foire 1:54 et des banques financent désormais des acquisitions.

Une série d’installations du Béninois Meschac Gaba, réunies sous le nom de Musée d’Art Contemporain Africain, vient d’etre achetée par la Tate Modern Gallery de Londres – référence mondiale en matiere d’art contemporain – grâce à un fonds financé par une banque nigériane.

A ceux qui craignent que l’Afrique n’y perde son âme, la directrice artistique de 1:54, Koyo Kouoh, fondatrice camerounaise de la compagnie Raw Material basée à Dakar, répond que « l’art suit toujours l’argent ».

Retour en Afrique

Autre risque, celui de la bulle spéculative et du phénomène de mode. Pour l’heure, les oeuvres des artistes africains sont relativement bon marché, comparées à celles de leurs homologues européens ou américains, ce qui peut attirer les collectionneurs à la recherche de nouveauté. Les prix commencent à quelques centaines d’euros (photos de l’Ivoirien François-Xavier Gbré, peinture du Malien Amahiguéré Dolo) et s’établissent, pour la plupart, bien en-dessous de 100 000 euros.

Néanmoins, galeries, artistes et experts s’accordent sur la nécessité de péreniser la tendance en développant un marché en Afrique.

« Au lieu d’acheter leur art, les Africains préfèrent acheter des bagnoles qui finiront en tas de ferraille! », se lamente Romuald Hazoumé. De fait, sur les quinze galeries présentes à 1:54, seules cinq sont basées en Afrique – à Abidjan, Nairobi, Lagos, Harare et Ségou.

Le prix d’acces à la foire, environ 12 000 euros par espace d’exposition, explique en partie cette situation, mais pas seulement, selon Cécile Fakhoury, galeriste française établie en Côte d’Ivoire.

« Il y a des galeries depuis longtemps à Abijdan, explique-t-elle, mais ce sont plutôt des boutiques à cheval entre art contemporain, design et artisanat; moi, j’ai amené le système de la galerie avec une programmation établie en amont, des artistes qui travaillent pendant plusieurs mois sur une exposition, le fait de représenter les artistes, de les soutenir. »

Romuald Hazoumé renchérit: il faut avoir « une vraie stratégie de communication, de représentation et de vente ». L’artiste béninois regrette aussi que les pouvoirs publics ne s’engagent pas plus, avant de rendre hommage à l’Angola pour son soutien actif à l’art contemporain, couronné par la récente victoire de ce pays via le photographe angolais Edson Chagas à la derniere Biennale de Venise.

L’architecte italien, Stefano Raboli Pansera, un des deux commissaires du pavillon angolais à Venise estime, que « le marché est prêt (…) avec des collectionneurs riches et sophistiqués venant d’Afrique ».

Cécile Fakhoury confirme: « Il y a un début de marché, une jeune génération qui commence à gagner de l’argent, qui voyage, qui voit ce qui se passe un peu ailleurs, qu’il y a un marché de l’art et des artistes dans leur pays ». La jeune femme indique que la moitié de ses collectionneurs réguliers sont ivoiriens.

(Source : BBC)